Libé, comme les autres quotidiens, ne sait pas ce qu'il a à vendre, et c’est ce qui va le tuer

Publié le par Frédéric Montagnon

Libé, comme les autres quotidiens, ne sait pas ce qu'il a à vendre, et c’est ce qui va le tuer

Je n’ai généralement pas une grande affinité idéologique avec les thèses qui sont défendues dans Libération. Cela dit, je respecte le point de vue, et je pense qu’il serait dommageable pour la démocratie que ce journal disparaisse. C’est ce qui risque pourtant d’arriver étant donné la santé financière de cette entreprise.

Plutôt que de tirer gratuitement sur l’ambulance, je me permets ces quelques lignes, avec mon angle digital:

Le papier ne suffit plus à financer une rédaction

Lorsque l'on regarde les chiffres de l’OJD sur décembre, Libé s’est vendu en moyenne à 103 000 exemplaires par jour, dont 31 000 achetés en kiosque, 10 400 en version numérique et 25 000 abonnés. Le reste étant acheté par des hôtels, compagnies aériennes, et tout ce qui permet de gonfler les chiffres des ventes (ils le font tous). Nous voilà donc à un peu moins de 2 exemplaires réellement vendus par commune chaque jour.

Chaque année, les ventes de papier se dégradent pour les quotidiens, et il n’y a aucune raison que la courbe s'inverse. On ne va pas blâmer Libé pour ça, la France passe infiniment plus de temps devant des écrans que devant du papier lorsqu’il s’agit de s’informer.

Et l'objet ? Un journal n'est ni beau, ni pratique. Son contenu est en parti périmé quand il arrive entre vos main et l'encre tache.

D'autre part, ce modèle est déjà archi subventionné (distribution en kiosque, livraison à domicile), et vu les finances de l’état, cette part du financement ne peut que baisser.

Bref, c’est sur le net que ça se passe, en 2014.

Le digital se porte bien, lui...

A coté de cette faible distribution papier, Nielsen/Mediametrie nous apprend que 3 481 000 personnes se sont rendus sur le site de Libé au mois de décembre. Performance doublée en 5 ans ! Il n’y a jamais eu autant de lecteurs de Libération, et la meme chose est vraie pour toute la presse en général depuis qu’elle est en ligne. Pourtant les revenus tirés de la vente en ligne restent anecdotiques, et ce n'est bien sûr pas la pub qui permet au journal de vivre.

Les gens, sur le web, ne seraient pas prêt à payer ? Je pense le contraire. Mais en l’état, comprend-t-on seulement que le journal en a besoin ? Peut on simplement acheter ou donner quelque chose pour participer ? De mon point de vue, c'est là que ça bloque.

Mais il faut repenser le positionnement et la manière de se financer

Il y a déjà trop de contenu qualitatif et gratuit, alors pourquoi payer ?

Payer pour du contenu d'actualité et d'opinion en ligne est une démarche plus proche du mécénat que de l’acte de consommation. Je pense qu'il faut repenser ce que les journaux comme Libération ont à vendre. Il ne s'agit pas de vendre du contenu, il s'agit de réunir des fonds pour permettre au journal d'exister, pour défendre ses idées. Finalement, ce ne sont pas des clients qu'ils doivent chercher, mais des gens qui adhèrent à leurs idées et qui sont prêt à les financer pour que le journal les défendent. Il s'agit de faire payer pour que le journal ait les moyens de faire connaitre des idées auxquelles on adhère.

Se pose alors un problème de savoir faire et de culture. Il y a des gens qui savent donner envie: ils travaillent pour des ONG, dans le luxe, dans la mode, dans l’e-commerce, dans le gaming, dans le crowd funding. Il faut les embaucher, s'imprégner de leur culture. Ils savent comment on met en valeur ce qui est réservé aux membres d'un club, pour donner envie à ceux qui n'y sont pas encore. Ils savent comment on crée un lien fort en humanisant une marque. D’ailleurs, qui sont les journalistes de Libé ? Sur le site, ils n’ont ni visage, ni caractère, ni CV.

Serait-ce dégradant de marquer clairement sur toutes les pages « Libé a besoin de vous pour exister, faites parti de ceux qui le font vivre » ? Wikipédia le fait, ça fonctionne.

Finalement, avoir existé en version papier est un handicap. Ils sont convaincus qu'ils vendent un produit. Maintenant que le support a disparu, il est normal que la vente d'une édition n'ait plus de sens.

Il faudrait que les journalistes et les journaux retrouvent leur panache, la noblesse de leur métier et leur vocation: Vous ne travaillez pas pour vendre des pages. Vous travaillez pour informer, donner une image du monde qui nous entoure et instruire. Si c'est bien ça, alors il faut le dire et demander simplement de l'aide à ceux qui vous trouvent utiles.

PS: Je n'ai pas abordé le problème technique du paiement en ligne, là tout est à revoir. De bout en bout j’ai mis 8 minutes et 6 écrans pour accéder aux contenus payants de Libé, pour finalement bénéficier d'un PDF quasiment illisible sur un écran. Sans compter que je ne peux pas lire depuis mon iPad puisque l'app n'est pas disponible en dehors de l'appstore français. Mais ça me semble, finalement, secondaire.

Publié dans Article, Media, Politique

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Y
Merci Frédéric, pour cet article et la qualité des articles de ton Blog. Je partage votre analyse sur les difficultés que vivent les acteurs de la presse écrite issue d'un nouveau mode de consommation de l'actualité. <br /> <br /> Je crois qu'il faut également intégrer l'impact de ce que l'on appelle &quot;la polarisation des industries&quot;. Le fait qu'une industrie exploitant ces ressources et compétences investisse dans une autre. Ex: Amazon avec le Washington Post, Audi investissant dans les champs d'éoliennes, Tesla (Automotive) s’intéressant aux énergie stockable.<br /> <br /> Ces mutations représentent un fabuleux champs d'exploration également pour les industries en Crise comme la presse écrite. Même si cela semble complexe sans cash disponible pour cette dernière.<br /> <br /> Yannick
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E
L'exemple de MédiaPart confirme bien ce qui est dit dans l'article.
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J
Je suis partagé en lisant ton argumentaire ; d'un côté, l'exemple de Wikipedia se tient, modulo quelques &quot;détails&quot; qui n'en sont pas (un journal &quot;engagé&quot; n'a pas le côté universel auquel prétend Wikipedia).<br /> D'un autre côté, ce raisonnement me fait quand même pas mal penser aux startups qui ont un raisonnement du type &quot;pas de modèle économique, on verra plus tard, les investisseurs suivront bien&quot;. Là encore, ça marche parfois quand le média est universel (Twitter est un bon exemple me semble t'il), quid d'un journal à l'historique fort ?
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F
La comparaison à Wikipedia est sur la mission. On finance une certaine idéologie quand on donne pour Wikipedia. Je pense que pour un journal d'actu (surtout engagé) c'est aussi possible.<br /> Ce que je décris est un modèle. Toutes les ONG ont un modèle économique, autour de la philanthropie. <br /> A un moment il faut être pragmatique: comment finance-t-on ? Jusqu'à présent il a s'agit d'aller faire du lobbying pour que l'état subventionne. Je pense que ça touche à sa fin :)
P
Si ce n'est que Wikipedia ne fonctionne que parcequ'il y a un ou deux milliardaires qui font des dons colossaux chaque année...
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F
Je suis d'accord, mais c'est vrai aussi pour les journaux dont les actionnaires (parfois aussi milliardaires) sont les plus gros apporteurs de cash et n'attendent pas de ROI :)
M
Ce que vous proposez, c'est ce que fait l'Humanité depuis toujours et Ils sont encore vivant ! Il y a donc une référence
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