BNF: notre argent investi dans des projets d'un autre temps
Depuis 30 ans, la France perd chaque année une quantité énorme de profils ultra compétents dans les nouvelles technologies. Ces derniers partent le plus souvent dès qu'ils terminent leur formation coûteuse pour la collectivité nationale et s'en vont travailler et payer des impôts loin d'ici : une perte sèche. Je n'ai rien contre eux, c'est la loi du marché. Pourquoi? Car en matière de technologie, dans beaucoup de domaines des sociétés étrangères sont capables de leur offrir un poste bien plus enrichissant que ce que proposent les sociétés françaises. Cela a été le cas pour le début de l'ère informatique, puis des telecoms, et aujourd'hui pour l'Internet. J'imagine que les Cleantechs attirent aussi beaucoup de scientifiques hors de France. C'est le "brain drain", la fuite des cerveaux. C'est un problème que rencontrent tous les pays en voie de développement. Mais la France n'est pas, à ma connaissance à classer dans cette catégorie. C'est bien là le problème. Que faisons nous pour stopper l'hémorragie? La plupart du temps, rien. Au contraire, la France préfère en générale subventionner les modèles qui déclinent. Un exemple en image: la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
La mission du projet qu'avait initié François Mitterrand avait tout pour plaire. De sa bouche:
"La construction et l'aménagement d'une des plus grandes et des plus modernes bibliothèques du monde… Ce projet devra couvrir tous les champs de la connaissance, être à la disposition de tous, utiliser les technologies les plus modernes de transmission de données, pouvoir être consulté à distance et entrer en relation avec d'autres bibliothèques européennes."
14 ans après son inauguration, la réalité ne ressemble en rien à cette description:
D'abords parce que la "technologie" choisie est le papier et la consultation in situ. Or archiver du papier coûte cher (200 000 m2 en l'occurrence) et atteint rapidement la limite de l'espace disponible. Depuis l'invention du Minitel, il est pourtant clair que que la notion de papier est largement dépassée dans le cas d'un projet d'archivage à destination d'un large public. D'autre part, il est bien évident que la grande majorité de ceux qui n'habitent pas en région parisienne ne viendront jamais faire une recherche à la BNF. Parler d'accès à la connaissance quand celle-ci n'est pas dèmatérialisée n'a aucun sens. Ainsi 3000 personnes seulement foulent le sol de la BNF François Mitterrand chaque jour. Est-ce un bon résultat? Si l'on se projète dans l'univers du numérique, comment qualifierait-on un site internet qui réaliserait une audience quotidienne de 3000 personnes? Un echec.
Notre président de l'époque voulait-il que la bibliothèque d'Alexandrie renaisse sous son nom? Gagné! Disparaîtra-t-elle dans le même mystère? C'est tout le bien que je souhaite pour les contribuables que nous sommes! C'est une histoire de mégalomane avant d'être un projet pour la France.
Et pour cause, les derniers chiffres affichés par la BNF (ceux de 2006 sont les derniers que j'ai trouvés) sont éloquents: un budget annuel de 254M€ (financé à 90% par nos impôts, les recettes étant maigres) qui ne prend pas en compte les nombreux dons qui sont fait à l'institution. La simple construction du site François Mitterrand avait déjà coûté plus d'1m€. Ces informations sont données ici : les amateurs d'accessibilité remarquerons la qualité du site qui doit être un des derniers exemples d'utilisation d'iframe qui le rend inutilisable dans de nombreuses configurations, en particulier pour les handicapés.
Imaginez ce qui pourrait être réalisé à la place de la construction et des charges de ces 4 tours! Il y a de quoi financer un grand nombre de start-up sur le thème du savoir et de l'information. Pour ceux qui s'intéressent au capital risque, en investissant 250M€/an on crée rapidement plus d'emplois que les 2600 que finance la BNF, avec une rentabilité à la clé et une appréciation du capital investi au lieu d'une perte sèche.
Si j'en parle aujourd'hui, c'est parce que l'on peut lire un peu partout que la BNF confira probablement la numérisation de "ses" documents à Google. Position assez étonnante puisque, durant des années, la BNF s'y est opposée, pour de mauvaises raisons d'ailleurs. L'argument invoqué aujourd'hui pour reprendre la discussion avec Google est d'ordre financier : la BNF ne pourrait pas faire face aux dépenses d'un tel travail de numérisation. Il est intéressant d'apprendre que Google accorde plus d'importance à ces contenus documentaires que la BNF elle même! Mais c'est bien normal, Google sait monétiser indirectement ce travail de numérisation. Et c'est autant de valeur qui partira hors de France.
Qu'on ne s'y trompe pas, je ne suis pas en train de dire que les projets de la BNF sont sans intérêt. Je pointe du doigt la problématique de l'efficacité de l'argent public dépensé lorsque l'on a pour objectif le développement de la richesse nationale et qu'on se préoccupe d’investissement pour l’avenir. De mon point de vue, la BNF devrait être essentiellement un service en ligne, disponible pour tous. Or le site internet de la BNF est,comme je l'ai indiqué plus haut, difficile à comprendre et d'un point du point de vue de l'ergonomie à la limite de l'utilisable. Il n'y a aucun lien entre les documents disponibles, aucun commentaire. Les documents accessibles sont livrés bruts, sans contexte. A qui cela sert-il? Et à quoi? Probablement que ces documents ne servent qu'à des travaux de recherche bien spécifiques. D'ailleurs les internautes ne s'y trompent pas, la fréquentation de bnf.fr est risible compte tenu de la richesse des contenus qu'y s'y trouvent ou devraient s'y trouver compte tenu de la vocation et du prestige de cet établissement.
Ma réflexion est simple: je comprends que la stratégie est de garder en France des vieux manuscrits, et de donner à Google l'opportunité de développer les technologies qui permettent d'y accéder en ligne. En laissant Google faire ce travail, c'est autant de savoir faire que l'on ne développe pas en France. Aie, ça me fait mal rien que de l'écrire! En continuant à dépenser des sommes colossales dans des structures aussi peu tournées vers l'avenir, nous ne sommes finalement même plus capables de consacrer les efforts nécessaires pour franchir des barrières technologiques comme d'autres pays l'ont déjà faits. Pire, indirectement des français partiront s'installer en Californie pour développer les outils que Google utilise pour numériser les contenus de la BNF. Enfin, nous allons gâcher une opportunité de créer un nouveau point d'accès de référence sur Internet, chose que la France n'a pas su développer ou conserver jusqu'à présent. Dans le même registre il y a d'autres exemples de taille: Geoportail, la version Web de Quaero, etc... mais je préfère ne même pas en parler.
Ca fait froid dans le dos, on en a bien besoin en période de canicule!